Comment reconnaître les faux trilobites
Nous avons, en tant que négociants, l'opportunité de visiter de nombreux salons et ainsi pu observer et étudier de nombreux trilobites falsifiés. Ces connaissances et cette expérience ont été acquises après des années d'efforts et nous permettent aujourd'hui d'identifier rapidement les faux trilobites, chose parfois difficile pour les néophytes malheureusement incapables de repérer les indices de trucage... Il est regrettable, qu'aujourd'hui en 2013 le marché soit inondé de contrefaçons qui jettent le discrédit sur notre profession : le négoce d'échantillons géologiques ! C'est pour cela qu'il est de notre devoir de partager nos connaissances dans la reconnaissance des faux trilobites avec vous !
Un petit peu d'histoire :
Le trafique de trilobites n'est pas nouveau... La falsification, les assemblages et la restauration de fossiles sont aussi anciens que le commerce des fossiles lui-même. Le problème est que l'imposture est rentable, de plus, comme c'est souvent le cas dans les pays du Sud, il est catalysé par la pauvreté et la précarité.
Au XIXème siècle, Barrande, employait ce qu'il appelait les "hommes de pierre" afin de rechercher des zones à proximité de Prague riche en trilobites. Les trouvailles spéciales étaient récompensées par une rétribution plus élevée, ce qui incitait certains "hommes de pierre" à tromper leur employeur en produisant de faux trilobites afin de gagner une récompense plus importante. Bon nombre de ces trilobites truqués ont même trouver leur place dans les collections des grands musées européens, où ils sont présentés aujourd'hui comme des curiosités (Budik et Turek, 2003).
Un moyen simple de créer un faux trilobite était d'assembler des pièces disparates, parfois résultant non seulement de spécimens différents, mais même de genres différents. Certains de ces spécimens soit-disant "rares" ont été vendus à des musées et à des établissements d'enseignement. Il y avait par exemple un trilobite assemblé à partir du céphalon d'un Phacops, du pygidium d'un Odontochile et avec un thorax ne comportant que 4 segments (Šnajdr, 1992). Cependant, à cette époque, les différentes parties des trilobites truqués étaient au moins authentiques. De nos jours, alors que les assemblages persistent, des techniques de falsification nouvelles se sont développées, elles mettent en oeuvre l'utilisation notamment de résines synthétiques qui permettent le moulage de partie ou totalité des spécimens...
L'industrie artisanale du trilobite a évolué dans le sillage des découvertes sensationnelles dans le désert marocain à proximité de Alnif, Erfoud et Tabourikt au cours des 30 dernières années. Ceci s'est déroulé dans une région où l'eau courante, l'électricité et l'éducation étaient pour la plupart indisponibles. Les marocains et les nomades ont découvert que le prélèvement et la préparation de trilobites ou plus généralement de fossiles étaient une source de revenus viable, ceci est devenu pour certains le seul moyen de subsistence. Au cours des années, cette industrie artisanale a évolué pour devenir un élément essentiel de l'économie, en particulier dans les zones d'extrême pauvreté dans les montagnes du Haut Atlas où de nombreux trilobites sont trouvés.
Burkhard et Bode (2003) notent qu'il existe des fabricants bien connus au Maroc qui produisent de faux trilobites. Les vendeurs de fossiles qui achètent localement connaissent ces ateliers. Les fabricants ne cachent pas leurs méthodes de production, ils présentent leurs produits comme des répliques. Il est donc facile de supposer que certains négociants en fossiles et exportateurs qui vont au Maroc pour acheter des trilobites sont bien conscients que ceux provenant de ces sources ne sont pas réels...Ainsi, la fraude se produit lorsque les revendeurs achètent sciemment ces répliques à bas prix pour les redistribuer sur le marché à des tarifs avantageux... La fabrication de faux trilobites semble avoir débuté dans les années 80, et était particulièrement évidente pour les Paradoxides très recherchés lorsque les sources ont été épuisées. Initialement plusieurs parties de Paradoxides différentes ont été combinées ce qui a ensuite conduit à la falsification de la plupart des trilobites. Apparemment, l'idée de falsifier n'est pas attribuable aux marocains, mais à des revendeurs américains et européens qui ont encouragé l'imposture à coups d'incitations financières. Les revendeurs ont ensuite écoulé les faux comme authentiques. Ce processus a malheureusement dégénéré pour englober la plupart des espèces de trilobites au Maroc. Le phénomène est devenu si répandu qu'aujourd'hui les contrefaçons peuvent être supérieures en nombre sur le marché.
Petit rappel de la nomenclature des trilobites :
Asaphiscus wheeleri meek véritable du Cambrien Moyen, House Range Montains, Millard Co., Utah, U.S.A. ; 5,2 cm de longueur
Il faut savoir que comme la grande majorité des arthropodes, les trilobites muaient. Ils changeaient donc de carapace régulièrement au cours de leur croissance. Il arrive de trouver des trilobites dont les "joues libres" sont manquantes. Ces pièces amovibles du céphalon (tête) permettaient à l'animal de sortir de son ancienne carapace. La plupart de ces animaux sont dit benthiques; c'est à dire qu'ils se déplaçaient sur le fond marin. Nous vous joingnons un petit schéma pour illustrer provenant du site www.trilobites.info.
Indices pour identifier les faux trilobites marocains :
a. - Les bulles d'air dans la gangue et l'exosquelette
La présence de bulles ou de petits trous plus ou moins sphériques est un indice important qui permet de dire que le trilobite est un faux. Ces trous, normalement de moins de 0,5 mm de diamètre, sont des artefacts des bulles qui se forment pendant le durcissement de la résine coulée. Ces bulles sont apparemment inévitables dans l'environnement hostile du désert marocain.
Sur le montage photo est présenté un Phacops entièrement coulé en résine puis remonté sur une matrice calcaire naturelle. A.- Les minuscules trous à la surface de l'exosquelette sont facilement visible, ce sont les fameuses bulles inhérentes à la résine : une signature unique de l'imposture. B.- Le gros plan des épines pleurales montrent des trous révélateurs, encore des bulles... C.- Ce gros plan d'un Dicanurus truqué montre la présence de bulle dans la matrice (à noter aussi que le calcaire devrait être gris et non pas d'un brun pâle non naturel).
b. - Différences de couleur dans les matrices des moulages
Surtout avec les trilobites du Dévonien marocain, lorsque la matrice adjacente au trilobite est brune claire tandis que le dessous de la matrice est un gris foncé, le trilobite est un moulage. Les matrices naturelles sont gris foncé uniformes à Hamar L'Aghdad et rougeâtres ou jaunes pâles à Laatchana. Les différences de couleur ainsi que les marques de préparation nombreuses sur la surface (afin de masquer les minuscules bulles) indiquent que le trilobite et une fine épaisseur de matrice adjacente ont été coulés ensemble puis remontés sur un calcaire éventuellement naturel. Particulièrement dans les trilobites du Cambrien, les variations de couleur de la matrice peuvent témoigner d'un assemblage à partir de fragments de spécimens différents. Une inspection minutieuse révèle généralement les lignes fines qui séparent des parties de couleurs différentes collées ensembles. Les trilobites authentiques doivent présenter des zones larges de couleurs homogènes, même si la matrice brisée peut avoir été recollée.
Sur la photo ci-dessus il s'agit d'un faux Dicranusus monstrosus. Le trilobite et la matrice adjacente ont été coulés dans une résine brune pâle, puis montés sur un vrai morceau de calcaire. Le faux trilobite a ensuite été peint, et la matrice environnante travaillée pour reproduire les marques de préparation. Le sciage d'une contrefaçon fourni la preuve définive en révélant un grand vide sous le trilobite, ainsi que des différences de couleur entre la couche de résine supérieure brune claire et le calcaire gris réel en dessous. La photo a été prise par Sonntag et le trilobite scié par Horst Burkhard. Les photos ci-dessous montrent des séries de Dicanurus à gauche sur un salon vendus 50€ pièce, leur ressemblance éveille déjà des soupçons... A droite de faux Ceratarges...
c.- Les fissures dans les trilobites du Dévonien comme indicateur potentiel d'authenticité
Contrairement aux trilobites rencontrés dans des schistes qui ont subi une déformation, les trilobites du Dévonien proviennent d'un calcaire très dur, difficile à extraire. Par conséquent, les trilobites marocains présentent normalement de fines lignes entre-croisées qui sont des fissures ou fractures. Elles recoupent normalement à la fois les restes de l'animal et la matrice. En effet, avant leur préparation plusieurs morceaux peuvent être recollés. L'absence de ces fissures peut constituer un indice de contrefaçon, cependant ces fractures peuvent aussi être absentes en raison de techniques de préparation très précises.
d.- Les caractéristiques de l'exosquelette du trilobite comme indicateur de l'imposture
Les trilobites marocains du Dévonien présentent un exosquelette noir, bien que différentes teintes brunes et verdâtres soient également observées, elles sont beaucoup plus rare. Les faux trilobites se trouvent dans des couleurs légèrement différentes, souvent brunâtres, et apparaissent la plupart du temps anormalement brillants. Cependant le micro-sablage lors de la préparation peut aussi générer une surface brillante. Mordre les trilobites avec vos incisives peut constituer un bon test d'authenticité. Les faux trilobites donnent une impression "tendre" à la morsure, comme on le ressentirait en mordant du plastique. Ce test simple et sûr utilise les nerfs sensibles dans vos dents, et ne peut pas endommager un vrai trilobite qui est nettement plus dur que ses contrefaçons en résine. Seule une pression légère est nécessaire, ne pas essayer de mordre dedans pour des raisons évidentes...
Attention, les trilobites marocains de l'Ordovicien et du Cambrien présentent des couleurs différentes de ceux du Dévonien. Les fossiles contiennent normalement des oxydes de fer hydratés qui sont responsables des couleurs ocre, brune ou orange, plutôt que jaune ou noire.
Connaître quelques caractéristiques de trilobites authentiques peut aider à différencier un faux d'un vrai (voir montage ci-dessous). Le Paralejurus de la photo de gauche est authentique, il présente des lignes de fissure caractéristiques indiquées par des flèches. La fissure supérieure est remarquable, elle recoupe le céphalon et la matrice, la fissure sur le pygidium est moins évidente. Sur l'agrandissement du pygidium du Paralejurus en haut à droite on note des petites lignes de terrasses. Ces lignes sont normalement absentes sur les trilobites truqués ou dont la préparation à la micro-sableuse a été trop aggressive. On remarque aussi des petites taches blanches qui apparaissent ponctuellement un peu partout, elles correspondent aux endroits ou le micro-percuteur a touché l'exosquelette, une préparation attentive permet de limiter ces défauts mineurs. La dernière photo en bas à droite montre les globes oculaires d'un trilobite de l'ordre des Phacopida. Les facettes sont un signe d'authenticité car très difficile à contrefaire. Il faut noter cependant que les yeux "schizochroaux" sont uniques au sous-ordre des Phacopina, abondants dans le Dévonien marocain. Beaucoup d'autres ordres de trilobites sont abondants mais n'ont pas les yeux schizochroaux (ex : Lichida, Harpetida, Proetida).
e.- Caractéristiques morphologiques, détails de surface et yeux des trilobites comme indices
Les exosquelettes des trilobites réels montrent habituellement des détails de structure, des imperfections et des ornementations, mais aussi des épines variées, des tubercules, des crêtes et des creux. Regarder attentivement les yeux des trilobites, les Phacopina ont des yeux à lentilles schizochroaux visibles à l'oeil nu. Les faux trilobites n'ont généralement pas ces détails caractéristiques qui sont très difficiles à copier. Les faux Phacopina ont habituellement des yeux lisses plutôt que des surfaces oculaires schizochroales, car les techniques de moulage requises sont difficiles à mettre en place et ne sont donc pas encore utilisées au Maroc.
f.- Lampes UV et solvants comme outils pour identifier les résines
La lumière noire émise par une lampe UV peut mettre au jour les contrefaçons car les résines reflètent la lumière UV différemment de la matrice calcaire. Un vrai trilobite est constitué de la même roche que sa matrice, en revanche les résines ont tendance à briller mais aussi fluorescer en créant un contraste sur les spécimens trafiqués. Attention cependant, certaines techniques de préparation permettent d'augmenter la réflectivité des trilobites authentiques.
Des trilobites marocains, à la fois faux et authentiques, ont parfois été recouverts d'un produit chimique non identifié, noir. L'application d'un solvant tel que l'acétone ou le Bindulin permet d'enlever ces patines. En passant le solvant avec un pinceau la pâte se détache en quelques secondes, comme le font d'autres colorants artificiels. Les zones reconstruites apparaîtront blanchâtres.
g.- La détermination ultime mais destructive...
Si après tous les tests et observations précédents le doute subsiste, alors la destruction peut être le seul recours... Avec une scie à lame diamantée, il est possible de découper le trilobite. Sur la photo vous pouvez noter un vide en dessous de l'animal, cela signifie qu'il a été scellé sur un morceau de matrice... c'est un Burmeisterella coulé et peint... une preuve irréfutable... Photographie de Sonntag et spécimen de la collection Burkhard.
Références :
- fossilmuseum.net
- BUDIL, P. & TUREK, V. (2003): Trilobitenland Tschechien. – Offizieller Katalog der 40. Mineralientage München, Turmalin und Trilobit: 94-99, 8 unn. Abb. München
- BURKHARD, H. & BODE, R. (2003): Trilobitenland Marokko. Keine Angst vor Fälschungen. – Offizieller Katalog der 40. Mineralientage München, Turmalin und Trilobit: 136-144, 22 unn. Abb., München.
- ŠNAJDR, M. (1990) : Bohemian Trilobites. – 265 S. Prag