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Le mystère des inclusions en hélices des béryls

BORNET Rémi (2025)


Les béryls et les spodumènes sont des minéraux prisés en minéralogie et en gemmologie, notamment pour leurs variétés colorées comme l'émeraude et l'aigue-marine (béryl) ou la kunzite (spodumène). Dans certaines localités, ces cristaux présentent des inclusions en forme d'hélice, une caractéristique intrigante qui pourrait résulter du phénomène de Liesegang. Cet article explore comment ce mécanisme chimique de précipitation périodique pourrait expliquer ces formations singulières.

Photo : Aigue-marine à inclusions en hélice du Minas Gerais, Brésil © Jeff Scovil

Aigue-marine à inclusions en hélice du Minas Gerais, Brésil © Jeff Scovil

Qu'est-ce que le phénomène de Liesegang ?

Motifs de Liesegang en hélice © Büki András & Oláh Zsuzsa

Découvert en 1896 par le chimiste Raphael Eduard Liesegang, ce phénomène décrit la formation spontanée de motifs périodiques - tels que des anneaux, des bandes ou des stries - lors de réactions chimiques dans un milieu où une substance se diffuse lentement. Typiquement observé dans des gels, ce processus repose sur un mécanisme d’instabilité : lorsqu’un réactif diffusant atteint localement une concentration critique, il réagit brutalement avec un autre composant du système, ce qui provoque la formation d’un précipité. Cette réaction locale épuise les réactifs à proximité, empêchant la formation immédiate d’un nouveau précipité, jusqu’à ce que la concentration augmente de nouveau plus loin. Ce cycle répétitif génère des structures régulièrement espacées dans le temps et l’espace.

Transposé au contexte cristallin, un mécanisme similaire pourrait expliquer la formation d’inclusions fluides périodiques dans des minéraux comme le béryl ou le spodumène. Durant la croissance du cristal, ce dernier baigne dans des fluides riches en éléments dissous. Si les conditions chimiques locales (pression, température, concentration) favorisent par moments l’emprisonnement de ces fluides plutôt que leur évacuation ou réaction, il en résulterait la formation d’inclusions fluides à intervalles réguliers. Ce piégeage rythmique, gouverné par un mécanisme de type Liesegang, donnerait naissance à des motifs organisés à l’intérieur même du cristal.

Photo de droite : Formation d'un précipité de dichromate d'argent dans de la gélatine en motifs de Liesegang © Büki András & Oláh Zsuzsa

Le phénomène de Liesegang et ses théories

Le phénomène de Liesegang repose sur l’interaction complexe entre la diffusion d’espèces chimiques et des réactions localisées soumises à des seuils critiques. Lorsqu’un réactif diffusant rencontre une autre substance en concentration suffisante, une réaction brutale survient (souvent une précipitation), ce qui génère des structures discontinues et périodiques, comme des anneaux ou des bandes, dans le milieu. L’espacement régulier de ces structures résulte de l’alternance entre zones actives (où la réaction est possible) et zones inhibées (où les réactifs ont été consommés).

L’un des modèles classiques propose que la réaction ne se déclenche que lorsque la concentration d’un réactif dépasse un certain seuil de sursaturation, ce qui explique la périodicité. Un autre modèle plus complexe introduit l’idée d’intermédiaires diffusants : des produits intermédiaires (complexes chimiques,
colloïdes, etc...) se forment en cours de réaction et facilitent la propagation du processus à distance, renforçant la périodicité.

Dans le cas des inclusions fluides observées dans des cristaux comme les béryls ou les spodumènes, ces modèles peuvent être adaptés. Ici, le fluide n’est pas précipité, mais piégé à des endroits précis du cristal, probablement lorsque certaines conditions thermodynamiques sont réunies. Si la croissance du cristal est continue et directionnelle, et si le front de croissance interagit avec un fluide en diffusion lente, il peut se produire un piégeage périodique des fluides, selon une logique similaire à celle du phénomène de Liesegang.

Enfin, certaines théories évoquent la formation d’ondes de concentration ou de perturbations périodiques dans le front de croissance, qui pourraient engendrer des motifs plus complexes encore, tels que des spirales ou des hélices. Dans un cristal qui croît préférentiellement selon un axe (comme l’axe c des béryls), de telles perturbations peuvent être déformées et entraînées dans un mouvement hélicoïdal, ce qui expliquerait la disposition spiralée des inclusions fluides.

Kunzite avec inclusion en hélice parallèle à l'axe c © Jeff Scovil
Kunzite avec inclusions en hélice parallèle à l'axe c © Jeff Scovil
Aigue-marine à inclusions en hélice de Dassu, Braldu Valley, Shigar District, Gilgit-Baltistan, Pakistan © Martin Slama
Aigue-marine à inclusions en hélice de Dassu, Shigar, Gilgit-Baltistan, Pakistan © Martin Slama
Natrolite avec inclusions en hélice du Mont St-Hilaire, Canada © mineral-forum.com
Natrolite avec inclusions en hélice du Mont St-Hilaire, Canada © mineral-forum.com
Aigue-marine avec inclusions en hélice du Pakistan © indigemshow
Aigue-marine avec inclusions en hélice du Pakistan © indigemshow

Formation des inclusions en hélice par le mécanisme de Liesegang :

Aigue-marine à inclusion en hélice de 7 cm de Shigar, Pakistan © Mineral Masterpiece

Dans des cristaux comme le béryl ou le spodumène, la formation d’inclusions fluides disposées en hélice peut être interprétée à la lumière du phénomène de Liesegang, et plus précisément via le modèle des intermédiaires diffusants. Ces minéraux se forment dans des environnements hydrothermaux ou pneumatolytiques, où la croissance cristalline s’effectue directement au contact d’un fluide chaud et riche en éléments dissous (lithium, béryllium, fer, etc...). Au fur et à mesure que le cristal se développe, il interagit avec ce fluide, et certaines conditions locales peuvent entraîner un piégeage périodique de petites poches de fluide, créant ainsi des inclusions.

Selon le modèle des intermédiaires diffusants, des espèces chimiques intermédiaires (comme des complexes ioniques ou des agrégats instables) peuvent temporairement modifier la vitesse de diffusion des éléments dans le fluide environnant. Cela crée des zones où la croissance est localement ralentie ou accélérée, favorisant l’emprisonnement rythmique de petites quantités de fluide dans le cristal. Ces inclusions ne se forment donc pas au hasard, mais selon une périodicité gouvernée par les conditions physico-chimiques du système.

La géométrie particulière de ces inclusions en hélice peut s’expliquer par la croissance directionnelle du cristal, notamment le long de son axe c, qui est souvent l’axe de croissance privilégié. À mesure que le cristal s’allonge, les inclusions piégées selon un motif périodique sont progressivement entraînées dans un mouvement spiralé, soit par un léger désaxement du front de croissance, soit par la présence de dislocations ou de perturbations dans la structure. Le motif d’origine (régulier et linéaire) se trouve ainsi transformé en une spirale tridimensionnelle.

Dans les expériences décrites par Shibi Thomas & al. (2013), la formation de motifs en hélice dans les tubes de gel dépend fortement du diamètre du tube : en dessous d'une certaine taille critique, seules des bandes de précipitation classiques apparaissent, tandis qu’au-delà de ce seuil, des hélices bien définies peuvent émerger. Le sens d’enroulement de ces hélices (à droite ou à gauche) semble quant à lui complètement aléatoire, le système ne possédant aucune chiralité initiale susceptible d’imposer une direction. Ce phénomène résulte d’une rupture spontanée de symétrie, où de petites perturbations sont amplifiées au cours du processus. Enfin, des variations locales du fluide, telles que des micro-fluctuations de température, de composition ou de pression, peuvent accentuer la complexité des structures formées. Cela expliquerait pourquoi certaines inclusions prennent des formes particulièrement irrégulières ou hélicoïdales : elles sont le reflet d’un processus dynamique et sensible, mêlant croissance cristalline directionnelle, interaction fluide-cristal, et instabilités de diffusion.

Photo : Aigue-marine à inclusion en hélice de 7 cm de Shigar, Pakistan © Mineral Masterpiece

Aigue-marine à inclusion en hélice de Shigar, Pakistan © Joaquim Callén
Aigue-marine à inclusion en hélice de Shigar, Pakistan © Joaquim Callén
Aigue-marine à inclusion en hélice de Shigar, Pakistan © Rémi Bornet
Aigue-marine à inclusion en hélice de Shigar, Pakistan © Rémi Bornet
Inclusions en hélice double d'une topaze du Pakistan © Carl Carnein
Inclusions en hélice double d'une topaze du Pakistan © Carl Carnein
Inclusions en hélice double d'une émeraude colombienne © Taku Okada
Inclusions en hélice double d'une émeraude colombienne © Taku Okada

Un processus à plus petite échelle : les dislocations vis

  • Dislocation vis
  • Dislocation vis
  • dislocation vis autour d'une macle de fluorine de Rogerley, Royaume-Uni © Rémi Bornet

Un autre mécanisme qui pourrait expliquer les inclusions en hélice est celui des dislocations vis. Ces défauts cristallins apparaissent lorsque la croissance du cristal est perturbée par une déformation locale, créant une structure en spirale qui guide la cristallisation.

Dans ce scénario, les inclusions en hélice ne seraient pas seulement le résultat d'un phénomène de diffusion et de précipitation Liesegang, mais aussi d'un mouvement en spirale des atomes en cours de cristallisation autour d'une dislocation. Ce processus pourrait agir en conjonction avec le phénomène de Liesegang, produisant une structuration complexe des inclusions à la fois à l'échelle macroscopique et microscopique.


Schémas et photo : Schémas d'une dislocation vis et photo d'une dislocation vis autour d'une macle de fluorine de Rogerley, Royaume-Uni © Rémi Bornet

Pourquoi les béryls et les spodumènes sont-ils concernés ?

Les béryls et les spodumènes sont particulièrement susceptibles de présenter des inclusions fluides en hélice en raison des conditions géologiques spécifiques dans lesquelles ils se forment. Ces minéraux cristallisent généralement dans des environnements pneumatolytiques ou hydrothermaux, situés à l’interface entre les dernières phases de différenciation magmatique et les circulations de fluides chauds. Ces milieux sont riches en éléments volatils (fluor, bore, eau, etc...) et en éléments légers comme le lithium et le béryllium, ce qui favorise à la fois la croissance minérale et l’incorporation de fluides.

Ces conditions sont souvent instables, avec des variations de température, de pression et de composition chimique qui peuvent entraîner des cycles de saturation et de précipitation. Cela crée un contexte favorable au piégeage périodique de fluides, analogue au phénomène de Liesegang.

De plus, les béryls et les spodumènes présentent une croissance directionnelle marquée, notamment le long de leur axe cristallographique c. Lorsqu’un schéma d’inclusions fluides se forme de manière régulière, cette croissance axiale peut entraîner un enroulement progressif du motif, transformant une distribution linéaire en structure hélicoïdale.

La présence d’éléments mobiles comme le lithium, le béryllium ou le fer peut aussi favoriser des processus de diffusion complexes, parfois accélérés par la formation de complexes intermédiaires dans le fluide, contribuant à un modèle de précipitation périodique modifié. Enfin, la présence de dislocations vis, fréquentes dans les grands cristaux, peut renforcer ou induire cette structuration spirale en servant de canal de croissance hélicoïdal.

A noter que des inclusions en hélices sont également connues dans d'autres espèces minérales comme la topaze, la tourmaline ou encore la natrolite.

Conclusion

L'hypothèse selon laquelle les inclusions en hélice observées dans certains béryls et spodumènes résultent du phénomène de Liesegang est une explication plausible. En combinant diffusion chimique, précipitation périodique et croissance anisotrope, ce modèle permet d'interpréter ces motifs fascinants sous un angle chimique et cristallographique.

Par ailleurs, la présence de dislocations en vis pourrait agir à une échelle plus fine, influençant la formation des structures hélicoïdales. Ce phénomène couplé pourrait ouvrir de nouvelles pistes de recherche sur l'origine de ces inclusions.

De futures études pourraient explorer cette hypothèse en simulant les conditions de croissance et en analysant la composition chimique des inclusions pour confirmer leur nature Liesegangienne.

Références :

KAI S., MÜLLER S. C., ROSS J. (1983). Periodic Precipitation Patterns in the Presence of Concentration Gradients. 2. Spatial Bifurcation of Precipitation Bands and Stochastic Pattern Formation. Journal of Physical Chemistry, 87(13), 2404-2410.
LIESEGANG, R.E. (1896). Ueber einige Eigenschaften von Gallerten. Naturwissenschaftliche Wochenschrift, 11, 353–362.

MÜLLER S. C., KAI S., ROSS J. (1982). Curiosities in Periodic Precipitation Patterns. Science, 216 (4546), 635-637
MÜLLER S. C., KAI S., ROSS J. (1982). Periodic Precipitation Patterns in the Presence of Concentration Gradients. 1. Dependence on Ion Product and Concentration Difference. Journal of Physical Chemistry, 86 (6), 903-909.

OSTWALD, W. (1897). Studien über die Bildung und Umwandlung fester Körper. Zeitschrift für physikalische Chemie, 22, 289–330.
THOMAS S., LAGZI I., MOLNÁR F. Jr., RÁCZ Z. (2013). Helices in the wake of precipitation fronts. Physical Review E, 88(2), 022141

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