Les béryls rouges des Wah Wah Mountains, Utah
Le béryl rouge, souvent qualifié de "trésor caché de l'Utah", est l'une des variétés de béryl les plus rares et les plus prisées au monde. Ce minéral précieux se distingue par sa couleur rouge intense, due à la présence de manganèse (Mn3+), et est extrait principalement des Wah Wah Mountains dans le Comté de Beaver, Utah. Sa rareté extrême, combinée à sa beauté unique, en fait une pierre convoitée par les collectionneurs et les bijoutiers du monde entier.
Historiquement, le béryl rouge était connu sous le nom de "bixbite", un terme introduit en 1912 par le minéralogiste Maynard Bixby, en hommage à lui-même. Toutefois, cette dénomination a rapidement créé une confusion avec un autre minéral appelé bixbyite, présent dans les mêmes contextes géologiques. En raison de cette similarité de noms, la communauté internationale a préféré utiliser l'appellation "béryl rouge", qui est plus descriptive et évite toute ambiguïté.
Le choix de l'appellation "béryl rouge" permet également de le rattacher à sa famille minéralogique, qui comprend des variétés célèbres comme l'émeraude (béryl vert) et l'aigue-marine (béryl bleu). Cependant, cette désignation n'a pas empêché certaines tentatives de marketing visant à le promouvoir sous le nom d'émeraude rouge, en référence à sa valeur comparable à celle des émeraudes. Bien que cette appellation ait suscité l'intérêt des consommateurs, elle reste controversée et non reconnue officiellement par les organismes gemmologiques, car elle peut induire en erreur sur l'identité chimique et cristallographique du minéral.
Photo : Béryl rouge sur rhyolite de Violet claims, Beaver County, Utah, USA
Contexte géologique
Les Wah Wah Mountains se situent dans une province physiographique de "Basin and Range", caractérisée par des alternances de chaînes de montagnes et de vallées parallèles. Cette région est le résultat d'une extension tectonique importante survenue au cours du Tertiaire, qui a créé des failles normales et des structures en horst et graben. Cette dynamique tectonique a influencé la formation des réservoirs magmatiques à l'origine des éruptions volcaniques cénozoïques.
Les Wah Wah Mountains elles-mêmes sont composées de sédiments paléozoïques et mésozoïques, surmontés de roches volcaniques cénozoïques, principalement des rhyolites. Ces roches volcaniques, enrichies en éléments volatils tels que le fluor, le lithium et le béryllium, ont fourni un environnement idéal pour la formation de minéraux rares comme le béryl rouge.
Ces rhyolites se sont formées il y a environ 20 à 22 millions d'années lors d'activités volcaniques intenses. Elles sont issues d'éruptions explosives suivie de l'écoulement de laves visqueuses. En refroidissant, ces laves ont cristallisé et se sont contractées en formant des fractures propices aux minéralisations. Le béryllium présent dans ces roches est essentiel à la formation du béryl rouge, qui cristallise dans des fractures remplies d'argile et d'autres minéraux secondaires comme la bixbyite, la topaze, et des oxydes de fer et de manganèse.
Les conditions géochimiques de ces rhyolites, caractérisées par une faible teneur en calcium et un environnement oxydant, ont permis la préservation de la forme trivalente du manganèse (Mn3+). Ce dernier a été transporté par des fluides hydrothermaux. L'environnement oxydant a empêché la réduction du manganèse en Mn2+, maintenant ainsi sa valence trivalente, essentielle pour la coloration rouge du béryl.
Figure : Coupe géologique du gisement de Violet Claims, Utah, USA d'après SHIGLEY et al. (2003)
Genèse du béryl rouge
Le béryl rouge s'est formé à partir de fluides supercritiques riches en fluor libérés par le magma rhyolitique en refroidissant (phase pneumatolytique). Un fluide supercritique est un état de la matière où les conditions de température et de pression dépassent le point critique (374°C pour l'eau), conférant au fluide des propriétés intermédiaires entre celles d'un liquide et d'un gaz. Ce type de fluide est très corrosif, capable de dissoudre des minéraux et de transporter des éléments chimiques à travers les roches, on parle alors de pneumatolyse.
Ces fluides ont réagi avec les minéraux préexistants et le verre volcanique pour cristalliser le béryl rouge le long des fractures de refroidissement. Ce processus s'est déroulé à des températures inférieures à 650°C mais supérieures à celles de l'altération argileuse ultérieure (200-300°C).
La couleur rouge distinctive est due à la présence de manganèse (Mn3+) dans la structure cristalline du béryl en substitution de l'aluminium (Al). Le manganèse a été introduit dans la rhyolite par des fluides hydrothermaux riches en éléments dissous provenant à la fois des eaux de surface, mais aussi des sédiments sous-jacent. La faible teneur en calcium de la rhyolite a également favorisé la mobilisation du béryllium sous forme de complexes fluorés, facilitant la cristallisation du béryl rouge plutôt que de la fluorine (CaF2).
Histoire de l'exploitation minière
Initialement décrits par Hillebrand dans le comté de Juab à Thomas Range en 1905, les béryls rouges n'ont été découverts en qualité gemme et en belles dimensions qu'en 1958 dans le comté de Beaver à Violet Claims (145 km au Sud) par Lamar Hodges, un prospecteur à la recherche d'uranium.
En 1976, la famille Harris a acquis les droits miniers du site de "Violet Claims". Pendant près de deux décennies, l'exploitation a été réalisée de manière artisanale, principalement au printemps et en automne, en raison des conditions climatiques extrêmes. La production annuelle était limitée, avec un rendement de 0,5 carat de béryl rouge facettable par tonne de roche extraite.
Dans les années 1990, Kennecott Exploration Co. a mené des explorations intensives, estimant les réserves à plus d'un million de tonnes de roche contenant du béryl rouge. Malgré des investissements importants et des tentatives de procédés industriels, l'exploitation est restée peu rentable en raison des coûts élevés et de la complexité de l'extraction. Des techniques telles que la fusion caustique* ont été testées pour extraire les cristaux, mais leur coûteuse mise en œuvre a limité leur succès.
La prospection à Thomas Range, notamment dans la Topaz Valley, est quand à elle maintenant autorisée pour le public, mais uniquement avec des outils manuels, après que le Bureau of Land Management (BLM) ait révoqué les revendications dans cette zone. Cependant, d'autres secteurs de la Thomas Range restent privés, et il est nécessaire d'obtenir une autorisation des titulaires des carrières pour y mener des activités de prospection.
Photo : Mine à ciel ouvert de béryl rouge de Violet Claims, Utah, USA © Bob Drummond
*La fusion caustique est un procédé chimique utilisé pour dissoudre des minéraux réfractaires difficiles à traiter par des méthodes conventionnelles. Elle consiste à chauffer le matériau minéral avec un agent alcalin fort, tel que l'hydroxyde de sodium (NaOH) ou l'hydroxyde de potassium (KOH), à des températures élevées, souvent entre 500 et 700°C. Ce processus permet de décomposer la matrice rocheuse et de libérer des éléments ou des minéraux d'intérêt, comme le béryl rouge.
Propriétés des béryls rouges
Le béryl rouge des Wah Wah Mountains présente un indice de réfraction bas (n = 1,560-1,570), une densité spécifique de 2,65-2,72, et un pléochroïsme marqué allant du rouge pourpre au rouge orangé. Sa dureté est de 7,5 à 8 sur l'échelle de Mohs, ce qui le rend adapté à la bijouterie. Sa cassure conchoïdale et sa fissuration irrégulière peuvent présenter des défis lors de la taille.
Zonations spéciales des béryls rouges
Inclusions dans les béryls rouges
Une pierre de joaillerie prestigieuse
La production de béryls rouges facettés est un processus complexe qui débute par la sélection minutieuse des cristaux bruts extraits des mines. En raison de la rareté et de la fragilité de ce minéral, seule une très petite proportion des cristaux présentent la clarté, la taille et la couleur adéquates pour être facettés. Les cristaux sont d'abord examinés pour identifier les inclusions et les fractures internes qui pourraient compromettre la qualité de la pierre finale. La taille est ensuite réalisée par des lapidaires expérimentés, qui doivent prendre en compte le pléochroïsme du béryl rouge afin d'optimiser la saturation de la couleur. La direction de la table et l'orientation des facettes sont stratégiquement choisies pour maximiser la réflexion de la lumière. En raison de la dureté du béryl rouge et de sa tendance à présenter des cassures conchoïdales, la taille requiert une grande précision pour éviter les pertes de matière. Les pierres facettées obtenues sont de petite taille, la plupart pesant moins d'un carat, mais leur couleur intense et leur rareté leur confèrent une valeur exceptionnelle sur le marché des gemmes qui peut largement dépasser les 50 000$/ct. Le plus gros béryl rouge taillé connu pèse plus de 8 ct.
Photo de droite : Béryl rouge facetté de 2,44 ct des Wah wah Mountains, Utah, USA © Bonhams
Conclusion
Unique par sa rareté et sa beauté, le béryl rouge des Wah Wah Mountains est non seulement une merveille de la nature, mais aussi un témoin précieux des processus géologiques complexes ayant conduit à sa formation. Son histoire géologique fascinante, associée à ses propriétés physiques remarquables, en fait un sujet d'étude privilégié pour les géologues. Sa valeur gemmologique exceptionnelle repose non seulement sur sa couleur vibrante et sa rareté, mais aussi sur la difficulté de son extraction et de sa taille, ce qui renforce son attrait auprès des collectionneurs et des bijoutiers du monde entier. En tant que joyau rare et emblématique de l'Utah, le béryl rouge continue de captiver l'attention des amateurs de gemmes et des scientifiques, symbolisant la beauté brute et la complexité des processus naturels qui l'ont créé.
Références :
BARLOW J.F. (1979) Red beryl of the Wah Wah's. Lapidary Journal, Vol. 32, No. 12, pp. 2540-2570.
HILLEBRAND W.F. (1905) Red beryl from Utah. American journal of Science, 4th series, Vol. 19, pp. 330-331.
RAKOVAN J., KITAMURA M., TUMADA O. (2006). Sakura ishi (cherry blossom stones): Mica pseudomorphs of complex cordierite-indialite intergrowths from Kameoka, Kyoto Prefecture, Japan. Rocks and Minerals, Vol. 81, No. 4, pp. 284–292
SHIGLEY, J. E., & FOORD, E. E. (1985). Gem-quality red beryl from the Wah Wah Mountains, Utah. Gems & Gemology, Winter 1984, 208-220
SHIGLEY, J. E., THOMPSON, T. J., & KEITH, J. D. (2003). Red beryl from Utah: A review and update. Gems & Gemology, Winter 2003, 302-313.